ET SI LA GOUVERNANCE TERRITORIALE ÉTAIT UNE AFFAIRE D’ÉTAT ?

1 – Ce n’est pas un paradoxe :  

Car les politiques locales ou territoriales recouvrent l’ensemble des politiques publiques produites par les autorités placées sous l’État : régions, villes, départements qui, comme lui gèrent une partie « du bien commun » à tous.  

Les reformes de décentralisation donnent lieu à l’attribution d’une série de ressources juridiques, budgétaires et politiques permettant de mettre en œuvre des politiques publiques au plus près de la population. Un État doit être attentif au principe de subsidiarité : ce qu’on peut mieux faire localement, il faut le laisser aux autorités locales, nul besoin d’un État lointain, et cela, même si les autorités locales n’ont pas la même orientation politique que l’État central. L’essentiel est que cette décentralisation se fasse selon des règles juridiques et financières claires, écrites et acceptées.  

Avec le développement de l’action publique, on voit progresser les notions de partenariat public privé ou de projet de développement. 

2 – Mais il faut penser global et agir local :  

Certes, « au-dessus de ces acteurs », la globalisation économique implique plus de mobilité des capitaux, les décisions de financement peuvent être éloignées, la ressource locale peut ne pas être suffisante. De fait pour les entrepreneurs locaux (élus, directeurs d’établissement public, chef d’entreprise) il faut comprendre et surmonter de grandes contraintes. « Think global, act local » en anglais disait l’urbaniste et activiste social écossais Patrick Geddes. Oui, la Gouvernance territoriale est une affaire d’état !  

Les industries régionales doivent développer une culture d’apprentissage et d’innovation soutenue par les institutions locales ou les associations professionnelles comme par les gouvernements. Chacun selon ses moyens.  

Les politiques locales doivent donc être au cœur des réflexions sur les nouveaux modes de gouvernances territoriales : l’ensemble des situations de coopération non ordonnées par la hiérarchie et qui correspondent à la gestion ou à la représentation de territoires dans leur environnement économique ou institutionnel.

Les acteurs locaux doivent, toujours plus, tenir compte des intérêts et des stratégies des autres acteurs : savoir négocier, défendre les intérêts des populations, faire converger le projet local avec son environnement global.  

3- La crise de gouvernance actuelle des pays d’Afrique de l’Ouest : 

Affaiblissement du guidage centralisé de l’État, épuisement des formes traditionnelles d’action publique, démocratie d’opérette ici, militaires exaspérés là, etc. Oblige à promouvoir un autre développement institutionnel par des mécanismes horizontaux de négociation et de gestion de l’action publique entre des groupes d’acteurs. Cette crise profonde ne pourra pas se résoudre par le seul ajustement des mécanismes verticaux du gouvernement (déconcentration, décentralisation).  

D’où l’intérêt porté à l’émergence de nouveaux acteurs politiques infra nationaux (villes, et régions) et aux nouvelles modalités de production des politiques locales fondées sur des projets et non sur des « intérêts ».  

Le développement des politiques locales amène à s’interroger sur la différenciation et la standardisation des instruments des politiques publiques.  

4 – Priorité à la Gouvernance locale ?  

Les politiques locales se différencient dans la mesure où elles s’adaptent finement à des contextes territoriaux variés et parce qu’elles sont portées par des coalitions d’acteurs qui n’ont pas toujours les mêmes relations d’interdépendances avec les représentants d’autres autorités publiques (état, administration).  

Que ce soit en matière d’accès au logement décent, de sécurité routière, de tranquillité publique, de politique de la ville, d’accompagnement ou de transfert sociaux, experts internationaux et groupes de pression imposent bien trop leurs visions du monde et les instruments de régulation qui les accompagnent n’ont pas les vertus qu’on dit. Alors que dans ces sujets de préoccupations, les autorités locales ont des solutions à faire valoir.  

Pendant un demi-siècle, le local n’a été qu’un espace de mise en œuvre des mesures développées par des administrations étatiques cloisonnées ou sous influence de puissants groupes étrangers. 

Dans de nombreux pays occidentaux, l’analyse du système politico-administratif local a révélé des modes de fonctionnement fort éloignés de l’idéal type bureaucratique.

Il a permis d’éviter le cloisonnement des filières et la hiérarchisation des acteurs qui s’accompagnaient d’incessantes tractations et d’arrangements entre la bureaucratie et les notables.  

Quand les institutions locales sont mieux contrôlées par une population « en proximité », on parle alors de « gouvernance », notion forgée dans les années 90.  

On change d’axe : de la coordination verticale à la coopération horizontale, au risque parfois d’occulter le maintien d’une centralité étatique et le rôle spécifique qu’a continué de jouer l’État dans la production des politiques territoriales après la décentralisation.  

Les réformes portant sur les collectivités territoriales, leurs organisations et l’instrumentalisation étatique (révision générale des politiques publiques, lois organiques, relatives aux lois de finances) ont rééquilibré la relation de pouvoir entre État et Territoires.  

Certes, la marginalisation des services déconcentrés de l’État s’est accompagnée d’un renouvellement des modalités de l’intervention infra-nationale et d’un renforcement de son rôle dans les fonctions de pilotage, incluant les politiques locales mises en quelque sorte « sous contraintes ».  

On ne peut pas faire l’impasse sur les ressources d’autorité et de légitimité conservées par l’État.  

De fait, décentralisation en faveur de pouvoirs locaux élus et déconcentration interne à l’appareil d’État doivent marcher ensemble, c’est souvent le cas. Mais pas facilement : cela n’est pas exempt de contrôle ou de méfiance. Parfois, cela a aussi favorisé le partenariat, une forme de contrat d’actions, même si l’on ne s’entend que sur un nombre limité d’objectifs.  

L’État doit se maintenir dans un système local dont les cartes ont été rebattues au profit des collectivités, et notamment des villes (le sens et le contenu des villes, les procédures à l’État). Il est le seul détenteur des compétences régaliennes qui font consensus dans une nation moderne.  

Vingt ans après les premières lois de décentralisation en France, une nouvelle mue sont apparus, sous l’effet d’une vague de réformes institutionnelles d’inspiration néo-managériale : des lois organiques relatives aux lois des finances réduisent les marges de manœuvre des services déconcentrés, comme des autorités décentralisées. Cela réduit la capacité de chacun à agir pour le bien commun. Ce dernier ne peut pas être un objet de management. Soyons donc prudents sur la recherche d’une modernité du type « rationalisation des choix budgétaires », cela a provoqué de sérieux dégâts en France dans la gestion des hôpitaux ou des autoroutes. Restons toujours au plus près du peuple, de ses secousses, de ses aspirations, de ses idées.  

Pour autant, il faut reconnaître que les principes de régulation concurrentielle de l’action publique, assemblés dans les instruments de new public management, ont favorisé une recomposition de l’État qui lui a permis de retrouver des capacités de pilotage à distance et de coordination d’acteurs autonomes. Donc le débat demeure entre modernisation – décentralisation – service public – rationalisation financière. Rester mesuré et attentif avant tout aux conséquences pour la population serait peut-être un chemin de compromis. 

5 – Les villes : un réseau devenant structurant ?  

Réussir à gérer une ville, c’est sans doute s’appuyer sur un instrument de type diagnostic-projet, au travers duquel les élus locaux cherchent à s’organiser et à organiser le dialogue localement : mobiliser, coopérer, financer avec tous les acteurs réunis autour d’une même lecture des enjeux (diagnostic partagé) d’une stratégie collective (projet territorial), mais avec un cadre procédural solide et efficace : dialoguer, oui, mais décider, puis agir ensemble. Peut-être créer des agences locales dotées d’un budget et dédiées à l’action : rénovation urbaine, équipements publics, aménagement de l’espace urbain, budget participatif, syndicats de transport, gestion de l’eau, etc.  

Ces instruments de gestion des mairies et des villes seront plus efficaces que les dotations de l’État aux collectivités locales. Ils permettront aussi de mieux comparer les villes entre elles. L’heure est encore à la concentration urbaine, il faut donc que cet échelon de la ville dispose des voies et moyens de gérer les questions économiques et sociales d’une population sans cesse en croissance.  

L’État de son côté déploie des indicateurs de performances. Villes et autorités locales y seront attentives aussi pour elles-mêmes.  

6 – Pour conclure :  Oui, les réformes de décentralisation sont les premiers facteurs de changement pour des politiques publiques rénovées. Oui, ces réformes donnent lieu à l’attribution des ressources juridiques, budgétaires permettant ainsi de dépasser « l’usure de l’échelon national » et d’agir au plus près des besoins de la population. Mais oui, aussi, il faut que cela fasse l’objet de contrôles et d’évaluations indépendants et publics. 

En Guinée comme au Gabon, où la démocratie a été confisquée, où la confiance du peuple en ses dirigeants s’est diluée, il n’a jamais existé de véritables investissements dans les collectivités territoriales. Sans omettre l’impérieuse nécessité de revoir la gouvernance nationale et nos rapports avec les acteurs du monde, mettons sur l’établi la question de la gouvernance locale. Pensons global (ou national), oui, mais agissons local aussi.

La décentralisation fiscale, est-elle un impératif pour une bonne gestion des collectivités locales ? Quelle est la marge de manœuvre des élus locaux dans la gouvernance locale au Sahel ?

Bibliographie :  

ARNAUD (Lionel), LE BART (Christian) et PASQUIER (Romain) (dir.),  Idéologies et action publique territoriale. La politique change-t-elle encore les  politiques ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res publica»,  2006.  

CROUCH (Colin), LE GALÈS (Patrick), TRIGILIA (Carlo) et VoELZKOW  (Helmut) (eds), Local Production Systems in Europe. Rise or Demise?, Oxford,  Oxford University Press, 2003.  

FAURE (Alain) et DOUILLET (Anne-Cécile) (dir.), L’Action publique et la  question territoriale, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2005. 

KEATING (Michael), « Thirty Years of Territorial Politics », West European Politics, 31 (1-2), janvier 2008, p. 60-80.  

LE GALÈS (Patrick), Le Retour des villes européennes. Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.  

PASQUIER (Romain), « « Cognitive Europeanization » and the Territorial Effects  of Multilevel Policy Transfer : Local Development in French and Spanish  Regions», Regional and Federal Studies, 15 (3), septembre 2005, p. 295-310. PASQUIER (Romain), La Capacité politique des régions. Une comparaison France/Espagne, préface d’Yves Mény, Rennes, Presses universitaires de Rennes,  coll. « Res publica», 2004. PINSON (Gilles), Gouverner la ville par projet.  Urbanisme et gouver-nance des villes européennes, Paris, Presses de Sciences Po,  2009.

BAH AMADOU, POLITOLOGUE ET ANALYSTE, DIPLÔMÉ DE SCIENCES POLITIQUES À GRENOBLE

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