Le rêve américain (PAR PROFESSEUR MARY TEUW NIANE)

Le Festival mondial de la Jeunesse et des Étudiants de septembre 1978 me donna l’occasion d’effectuer, pour la première fois, une visite sur le Continent américain. 

Militants du PAI clandestin en France, nous prîmes le train pour rallier Moscou, puis l’avion pour joindre La Havane, la capitale de Cuba.

J’ai connu l’Amérique à travers plusieurs sources. 

J’avais choisi au Lycée Charle De Gaule l’espagnol en seconde comme grand commençant. J’avais durant trois années un professeur passionné de la langue de Cervantes. 

Sow Madrid nous avait appris très tôt à parler en espagnol et à lire des textes variés d’écrivains de langue espagnole de tous les continents. 

En classe préparatoire aux grandes écoles, en France , j’avais continué à étudier l’espagnol. 

Je lis à l’époque les romans de l’écrivain cubain Alejandro Carpentier notamment « le partage des eaux » et « le royaume de ce monde ». J’avais l’impression de lire un écrivain africain tellement la culture qu’il décrivait était proche du vaudou, du dëpp, des khamb et des religions traditionnelles d’Afrique. 

Je lis aussi le recueil de nouvelles « week-end en Guatemala » de Miguel Angel de Asturias, un petit recueil de nouvelles, livre immense de sens et de prise de conscience. 

En français, je lisais aussi les romans de divers écrivains du continent américain. 

L’inévitable livre d’Ernest Hemingway, « le vieil homme et la mer », me subjuga tellement que je vis l’immensité de la mer se conjuguer à l’immense sagesse du Viel homme. 

J’avais aimé « le talon de fer »  de l’écrivain engagé américain Jacques London. 

À cette époque, j’avais lu presque tous les romans disponibles en livre de poche de John Steinbeck, « des raisins de la colère » en passant par « à l’est d’Eden » jusqu’au mystérieux petit roman « des souris et des hommes ». 

Je fréquentais aussi les écrits de Faulkner comme « le bruit et la fureur », de Borges notamment « le double ». 

Évidemment j’avais déjà lu au lycée les œuvres d’Aimé Césaire comme par exemple « la tragédie du roi Christophe ». 

J’avais rencontré l’Amerique à travers ses écrivains et ses poètes dont la plume avait de multiples facettes. 

Ils étaient réalistes, contestataires, engagés, surréalistes et mêmes, à certains égards, leurs écrits fleurtaient avec le fantastique. 

J’avais beaucoup aimé le livre de poésie de l’immense poème du poète chilien Pablo Neruda, « canto général » et je commençais à lire les livres de son compatriote le grand écrivain Gabriel Garcia Marquez, « cent ans de solitude » et « l’automne du patriarche ». 

Je connaissais l’Amérique aussi par la musique et les chanteurs en anglais comme en espagnol que j’aimais écouter. 

Mon rapport à la musique et aux chants est toujours resté le spectateur assis, couché ou debout écoutant et sentant la musique, le sens des paroles mais jamais dansant. 

J’ai toujours refusé de danser. 

La musique fut pour moi un excellent compagnon pour les études et la réflexion intellectuelle. 

L’orquesta Aragon, le Duo los Ahijados, le Pancho El Bravo, Bob Marley, Guillermo Portabales, Aretha Franklin, Joan Baez, Carlos Puebla, Abelardo Barroso, Isabelle Para, Victor Jara, Quilapayun, Tracy Chapman et d’autres furent, avec les écrivains, mes initiateurs aux cultures des Amériques.  

Ces femmes et hommes de culture furent les ferments de l’amour que je porte à ce continent riche de sa diversité, de son histoire souvent ensanglantée et horrible, de sa biodiversité et du tempérament volcanique de ses habitants.  

L’Amérique est le Continent de l’esclavage, de la ségrégation raciale, du massacre des indiens. 

L’Amérique est aussi la terre des hippies, des mormons et des tribus indiennes à l’étroit dans leurs réserves. 

L’Amazonie, le Mississipi, les Grands Lacs, la Cordillère des Andes, les rocheuses, la Pampa, le bison, le Grand Canyon, les cowboys, les flûtes des indiens des Andes, les favélas, etc., retentissent comme les marqueurs de l’identité de ce jeune continent qui vit, avant Christophe Colomb, l’arrivée de l’expédition de Bakary II, empereur de l’Empire du Mali.

L’Amérique est immense à travers ses universités, ses laboratoires de recherche, sa quête perpétuelle de connaissances, de technologies nouvelles, d’inventions et d’innovations.

L’Amérique est aussi la terre des grands hommes comme José Martí, Simon Bolivar, Toussaint Louverture et Martin Luther King..

J’ai eu la chance de visiter quelques pays d’Amérique.

Cuba: un pays sobre, fier de son indépendance conquise par les armes, Che Guevara, Fidel Castro, un des meilleurs systèmes de santé au monde, un pays étranglé par le blocus économique injuste des États Unis d’Amérique, les bus de transport en commun qu’ils appellent vava, le Parc Lénine, une culture profondément héritière de la culture africaine, des hommes et des femmes ouverts et très accueillants, des hommes et des femmes très travailleurs mais qui consacrent entièrement leur week-end à la fête.

États Unis d’Amérique : le plus grand pays au niveau économique et financier du monde, le plus grand pays de science et de technologie du monde, le pays qui a les plus grandes universités du monde, le pays qui a aussi les hommes et les femmes les plus obèses du monde, le pays où rien est impossible ( des plus riches, des inventions extraordinaires, de tous les exploits inédits, des inégalités, de la légèreté, du sérieux, de la religiosité, des libertés des mœurs, etc.), les ghettos, les discriminations, la puissance militaire, le Cap Canaveral, le pays du dollar puissant et incontournable, le pays des gratte-ciel, le pays des rêves réalisés, le pays aux universitaires généreux et heureux de partager leurs connaissances.

Canada: un grand pays sous l’ombre des États Unis d’Amérique, un immense pays peu peuplé, un pays où les habitants ne sont pas stressés, un pays où les habitants ont envie d’échanger avec les autres, avec le Québec une province francophone accueillante où les populations sont gaies, une terre de froid terrible, les emblématiques chutes du Niagara aux multiples arcs-en-ciel, de grandes universités ouvertes aux échanges.

Haïti: c’est le Bénin échoué en Amérique, que de scènes de vie quotidienne qui vous renvoient à l’Afrique-mère, la pauvreté et la violence omniprésentes, un système éducatif très faible notamment en mathématiques, sciences et technologies, la jeunesse comme les adultes ne rêvent que d’aller au Canada ou aux USA, des pouvoirs politiques corrompus, incompétents et irresponsables, le pays de Toussaint Louverture et de la grande révolution libératrice, le pays nègre puni pour avoir osé se libérer,  un pays abandonné par l’Afrique-mère, l’UA doit prendre des initiatives pour intégrer Haïti qui est une partie de nous abandonnée,

Équateur : une population afro-américaine qui a conservé beaucoup d’héritage culturel africain à Esmeralda, les Andes, la Universidad Tecnica Particular de Loja une université modèle en enseignement à distance, des jésuites qui se consacrent à l’enseignement supérieur et heureux de partager leurs expériences, des femmes indiennes très curieuses de savoir qui nous étions et d’où nous venions, les beaux monuments de Quito. 

Venezuela: deux voyages contrastés, l’un lorsque tout était bon marché et la vie facile et l’autre quand le coût de la vie a explosé et l’insécurité s’est installée; un immense effort de formation supérieur et populaire, le soir les écoles deviennent des lieux de formation pour les populations, les familles entières maris, épouses, enfants et bébés vont à l’école ; la Universidad Bolivariana, une université nationale populaire ; la maison de la science; un gros métissage. 

L’Amérique est un continent très particulier. 

On ne s’y sent jamais étranger car à l’exception des populations indiennes, tout le monde est venu d’ailleurs. 

La terre d’Amérique n’est donc la terre de personne, ni des blancs, ni des noirs, encore moins des jaunes. Elle  est la terre de tous ceux qui s’y retrouvent.

C’est pourquoi le sentiment de xénophobie y est plus difficile à entretenir. 

Le racisme n’y a pas encore disparu. 

Partout les noirs sont encore victimes de racisme et de traitement discriminatoire. 

Les indiens, les seules populations autochtones, sont aussi victimes de racisme, d’expropriation de leurs terres, de discriminations et sont dans beaucoup d’endroits cantonnés dans des réserves où ils sont ravagés par l’alcool.

Le Continent américain est sans aucun doute le continent où les droits humains sont le plus à faire respecter.

L’Amérique demeure, pour le monde entier, dans l’imaginaire comme dans la réalité, la terre où les rêves se réalisent, le Continent où fleurissent les extraordinaires défis réussis.

Je vous souhaite une excellente journée sous la protection divine.

Dakar, mercredi 20 décembre 2023 Prof Mary Teuw Niane

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